Le Bol d'Or des Monédières

LE BOL D'OR DES MONÉDIÈRES

 

Dans Bruyères corréziennes, Jean Ségurel chantait sa région natale. « Au pied des côteaux jolis, Quand la bruyère est fleurie, « Au flanc des Monédières », l'accordéoniste créateur d'une compétition de cyclisme donne un aperçu des paysages corréziens qui jonchaient le parcours des sportifs, venus disputer le trophée.

À travers les archives de la Cinémathèque de Nouvelle-Aquitaine, le Bol d'Or des Monédières est le reflet du patrimoine corrézien. Les films, principalement issus de passionnés et de natifs du Limousin, sont nécessaires à la consolidation de cette mémoire.

 

LA CULTURE DU SPORT EN FRANCE

 

Le sport a progressivement conquis sa notoriété comme spectacle populaire. Ce n'est plus une culture d'élite, telle qu'elle a été au XIXème siècle, et une démocratisation se profile sur le territoire français et dans toute l'Europe. Les manifestations abondent : les meetings d'aviations, les matchs de rugby et de football, le Tour de France et les autres compétitions cyclistes. Cet engouement est certainement dû à l'accès au sport par toutes les catégories sociales. La pratique et la culture sportives ne sont plus l'apanage des privilégiés. À partir de la Première Guerre mondiale, les représentants des couches sociales plus défavorisées remplacent les aristocrates et les bourgeois dans les exploits sportifs et deviennent ainsi des «héros».

Rappelons également que la production d'objets relatifs à la pratique sportive permet à la population de s'intéresser à ce domaine. C'est le cas pour le cyclisme avec la production de plus en plus soutenue de vélos. La bicyclette devient un objet populaire et suscite un certain engouement et parfois des vocations. On associe cet instrument aux loisirs mais aussi à un moyen de transport alternatif accessible.

 

LE BOL D'OR DES MONÉDIÈRES

 

Le Bol d'Or des Monédières désigne une course de cyclistes se déroulant sur un parcours de 160 kilomètres, autour de la commune de Chaumeil, en Corrèze. La compétition tient son nom de la compétition d'endurance de cyclisme du Bol d'Or, inaugurée en 1894 par le journal Paris-Pédale, et de la récompense remise au vainqueur : un bol en métal. Le circuit, situé au sud du plateau de Millevaches, avec ses routes étroites et sinueuses, serpentant entre bruyères et châtaigniers, était propice à toutes les échappées. Le col de Lestards et celui des Géants permettaient aux grimpeurs de donner un aperçu de leurs talents. Le circuit est, à plusieurs reprises, modifié. En 1963, ce sont vingt- huit kilomètres qu'il faut parcourir six fois et en 1964, une nouvelle boucle de vingt kilomètres est présentée. Le col de Lestards ne fait plus partie du périple et est remplacé par celui des Géants. En 1965, sa forme en huit est abandonnée au profit d'un tracé linéaire de 40 kilomètres.

Créé en 1952 à l'initiative d'une figure célèbre corrézienne : Jean Ségurel, cet événement rassemble les foules sur les routes, dans une ambiance festive. Cette fête populaire connaît un succès immédiat dès son apparition. Au début du mois d'août, toutes les générations sont réunies pour assister à des performances sportives inédites. Pendant cette journée, elles prennent part à cette manifestation. Ensemble, les spectateurs s'unissent autour des cyclistes pour se livrer à l'observation et aux encouragements.

 

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Jean Ségurel

Né en 1908 à Chaumeil, JEan Ségurel est un musicien du Limousin. Plongé très tôt dans l'univers de la musique grâce à son père, il est d'abord violoniste mais il connaît la célébrité grâce à l'accordéon. Dans les années 1930, il se tourne définitivement vers la musique et enregistre son premier morceau, teinté d'accords folkloriques limousins, à Paris. En 1935, il rencontre le succès avec ses musiciens : les "Troubadours" avaec notamment le morceau Bruyères corréziennes.

Il cultive également une autre passion, celle du cylcimse. Séhurel participe alors, dès ses plus jeunes années, à des tournois locaux. Pendant des années, il gravite autour du monde du vélo et décide de mettre en place un concours dans sa ville. 

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Outre le fait de convoquer toute une population autour d'un même événement, le Bol d'Or des Monédières souligne l'occasion de rencontrer des grandes idoles du cyclisme. C'était l'un des objectifs de Jean Ségurel en créant cette compétition. Il s’agissait de fonder un événement qui devait prétendre attirer les grands champions du cyclisme régional, national et international. Le Bol d'Or prit alors une place dans les courses d'après Tour, qualifiées de critériums. Fausto Coppi, Raphaël Geminiani, Jacques Anquetil, Bernard Hinault et tant d'autres participent à la course et entretiennent leurs propres mythes auprès des corréziens mais aussi des curieux, présents pour l'occasion. Certains compétiteurs sont novices et participent pour la première à la course comme Raymond Poulidor. En 1956, Poulidor dispute pour la première fois le Bol d'Or. C'est la première fois qu'il est confronté au public et il rencontre immédiatement le succès auprès de la foule et de la presse locale.

 

  

De gauche à droite : Les courreurs Fausto Coppi et Raymond Poulidor (certainement une de ses premières apparitions), "Bols d'Or des Monédières", Roland Manoury, Années 1950 - Jacques Anquetil, "Bol d'Or 1965", Roland Manoury, 1965.

 

Le rassemblement vélocipédique participe également à la notoriété du village limousin de Chaumeil. Cette région, peu gâtée par les succès sportifs, connaît la chance d'être le théâtre d'une grande course. En plus d'être au cœur d'une rencontre sportive, les participants et les spectateurs sont plongés dans l'univers folklorique corrézien. Dans une ambiance musicale, entre une bourrée des Monédières et une valse du Moulin de Chaumeil, les noms des coureurs étaient annoncés. Bien au- delà de l'expression des exploits du cyclisme, l'un des enjeux pour Chaumeil est de livrer son attachement à son patrimoine local.

L'essor de la course est tel que les médias s'emparent de ce sujet. Au cours des années 1950, la réputation du Bol d'Or des Monédières n'est plus à faire et les journaux, la radio et la télévision se pressent pour assister au défilé des coureurs.

De gauche à droite : "Bol d'Or des années 1950", Roland Manoury, 1955-1960 - "Bol d'Or 1965", Roland Manoury, 1965.

 

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Roland Manoury, réalisateur

Roland Manoury est un artiste qui s'illustre dans la photographie et le cinéma. Sensibilisé au terroir du Massif-Central par ses origines corréziennes maternelles, il réalise plusieurs courts-métrages. 

Ses racines limousines le conduisent à rencontrer JEan Ségurel. Il se prend de passion pour la musique, plus particulièrement pour l'accorédon. Il fait partie alors des milieux musicaux en tant que producteur mais aussi en tant que parolier. Il est l'auteur de chansons aux sonorités folkloriques. Dès 1964, il fonde les "Quinzaines Auvergnates" et sillonne les routes du Centre avec la tournée "Avèze-l'Auverge qui chante" de 1968 à 1978.

Sa passion musicale est largement visible dans les films qu'il crée, notamment dans Au Bol d'Or des Monédières où la figure de Ségurel, accordéoniste et créateur de l'épreuve cycliste corrézienne, tient une place importante.

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Le film de Roland Manoury «Bol d'Or des années 1950» rappelle cette présence médiatique à la compétition. Le plan est relativement intéressant car il indique la réalisation du film pendant la course. À bord d'un véhicule, Roland Manoury est placé devant les cyclistes et capte des images inédites de la course. Il s'agit pratiquement d'un instantané de la compétition. Une autre image informe l'existence de la presse durant le Bol d'Or : celle d'une banderole où figure le nom du journal spécialisé L'Équipe. Enfin, dans un autre document d'archives, Manoury propose une succession de rushes des courses cyclistes du Bol d'Or des Monédières en 1952, 1953 et 1954. Nous apercevons une automobile avec, au-dessus du pare-brise « Presse cinématographique ». Ces images soulignent donc la célébrité de l'évènement à travers la présence médiatique à Chaumeil.

Roland Manoury livre un documentaire sur le critérium corrézien. Il s'agit de «Au Bol d'Or des Monédières». Filmé en 16 mm, cette pièce d'archives est une rétrospective filmée de 1952 à 1967 de «la plus grande épreuve cycliste du Massif-Central».

"Au Bol d'Or des Monédières", Roland Manoury, 1952-1967.

 

L'ouverture se fait sur un plan large des Monédières. On suit ensuite la caméra à travers divers plans de Chaumeil et de défilés folkloriques corréziens. Les images populaires sont rapidement abandonnées pour aborder la course. Manoury privilégie une succession de séquences, tantôt en plans fixes sur les préparatifs et les animations tantôt en caméra mobile pour suivre les efforts des coureurs. En plus de fournir une documentation riche sur l'organisation et le déroulement du Bol d'Or, la construction du film marque l'agitation de l'événement. Pendant la compétition, les personnes et les sportifs sont plongés dans une effervescence permanente. Grâce à ce document, Manoury souligne les valeurs du Bol d'Or des Monédières : la survivance folklorique et la performance sportive, chères à son créateur : Jean Ségurel.

La fin des années 1960 évoque la dernière édition du Bol d'Or des Monédières «Première Édition ». Entre 1968 et 1981, la course n'est pas organisée. Il faut attendre 1982 pour que le Bol d'Or fasse son retour. Soucieux de garder l'authenticité de la manifestation, Alain Ségurel, le fils de Jean Ségurel, s'efforce de rallier les grandes personnalités du cyclisme dans un climat festif, rythmé par les coutumes et les traditions corréziennes. Il renouvelle le critérium en assurant de nouveaux spectacles sportifs, notamment en 1986 avec la première course féminine et en 1994, avec l'ouverture du Bol d'Or aux cyclomoteurs. Malgré une popularité notoire dans l'univers cycliste, le Bol d'Or des Monédières signe son dernier rassemblement en 2002. Depuis, le souvenir de la course de Chaumeil survit grâce au Paris-Corrèze, une course par étapes élaborée en 2001, qui reprend parfois des itinéraires du Bol d'Or.

 

LE TOUR DE FRANCE

 

Même si le Bol d'Or des Monédières connaît un éclat, d'abord dans la région puis progressivement en France, la course est l'héritière d'un concours plus ancien, qui possède une renommée internationale : le Tour de France. Créée en 1903, cette course estivale décloisonne le sport en offrant aux pratiquants et aux spectateurs des faits exceptionnels. Grâce à l'image forte, véhiculée par les entreprises, les sponsors et la presse, le Tour devient une épreuve iconique du sport dans les mentalités. La Cinémathèque de Nouvelle-Aquitaine assure la sauvegarde de ce spectacle grâce à des archives.

 

  

De gauche à droite : "Tour de France en Corrèze", Roland Manoury, 1951 - "Tour de France de 1963 à Limoges", Réalisateur inconnu, 1963 - "Arrivée du tour de France", Archives municipales de Limoges, 1977

 

Les films sont des traces de l'engouement du Tour de France. Composé de plusieurs étapes, les lieux qui accueillent les professionnels connaissent une grande affluence. À plusieurs reprises, la région est choisie en tant que « village-étape ». En 1951, les coureurs de la « Grande Boucle » entament la dixième étape et se dirigent vers Brive-la-Gaillarde, en passant près de Gare de Corrèze. La caméra de Manoury fixe l'image des caravanes, des automobiles mais surtout des cyclistes, dispersés ou en peloton, en plein effort. Les deux autres films, à l'initiative d'un anonyme et de Gaston Mondouaud, montrent l'arrivée de la septième étape et le départ de la huitième à Limoges, en 1963. Hormis la foule environnante dans le stade de Beaublanc puis dans les rues alentours du Champ de Juillet, les images mettent principalement en valeur tout le déroulement du parcours du Tour de France grâce aux plans centrés sur les cyclistes.

 

La ville de Limoges a tenu une place de choix dans l'accueil et l'organisation d'étapes du Tour de France. Plusieurs archives montrent les festivités sportives qui se déroulent dans la capitale de la Haute-Vienne. Des anonymes et Gaston Mondouaud ont participé à documenter les faits, notamment les tours de 1960, 1963 et 1977. Ces témoignages audiovisuels marquent la symbolique populaire du Tour de France.

 

MÉMOIRE DU CYCLISME

 

La Cinémathèque de Nouvelle-Aquitaine possède des archives relatant des tournois et des compétitions cyclistes. Parmi les réalisateurs, outre Roland Manoury, on retrouve les noms de Roger Breillout, André Bordes ou Armand Moreau. La liste non exhaustive ne peut refléter que partiellement les activités liées au vélo professionnel dans la région. Cependant, elle permet de mettre en évidence toute la richesse des fonds des territoires néo-aquitains dans le cadre d'une documentation sur le cyclisme. Les archives abordent l'évolution des compétitions au fil du temps tout en mesurant leurs intérêts dans les mentalités.

Les films, amateurs et parfois institutionnels, ne sont pas toujours centrés sur les compétitions de cyclisme. Le Bol d'Or des Monédières et le Tour de France sont des séquences qui prennent place à côtés de scènes de la vie quotidienne. Les créateurs néophytes de ces images ponctuelles saisissent les temps forts du cyclisme professionnel lors de vacances ou de promenades fortuites.

 

 

 

Ainsi, les archives de la Cinémathèque participent à documenter l'un des événements majeurs de la Corrèze. Ce territoire est encore fortement marqué par son passé cycliste grâce aux multiples témoignages filmiques. L'organisation, le déroulement et le succès du Bol d'Or des Monédières, développées dans les films, reflètent une actualité passée de la Corrèze et de ses environs.

 

BIBLIOGRAPHIE

 

-GABORIAU Philippe, « Les trois âges du vélo en France », Vingtième Siècle, revue d'histoire, n°29, Janvier-Mars 1991, pages 17-34.

 

-GOETSCHEL Pascale, LOYER Emmanuelle, Histoire culturelle de la France : de la Belle Époque à nos jours, Paris, Armand Colin, 2018, pages 73-74.

 

-MANOURY Roland, Jean Ségurel : un accordéon dans la bruyère, Clermont-Ferrand, Studio Blatin, 1991, page 7.

 

-MAULAVÉ Arsène, SÉGUREL Alain, Le Bol d'Or des Monédières : 50 ans de vélo et d'accordéon, Châteauroux, La Bouinotte, 2006.

 

-TÉTART Philippe, WINOCK Michel, Histoire du sport en France : du Second Empire au régime de Vichy, Paris, Vuibert, 2007.

 

© Cinémathèque de Nouvelle-Aquitaine